« Certaines personnes handicapées osent avoir des enfants », entrevue avec l’auteur de « Maternité adaptée » Estrella Gil

Estrella Gil est l’auteur de « Maternité adaptée » et la maman d’un petit Miquel âgé de 22 mois. Elle est atteinte d’une paralysie cérébrale suite à un problème à la naissance.

Bonjour Estrella, en premier lieu j’aimerais que tu nous expliques un peu qu’elle a été ta motivation pour écrire ce livre.

Il s’agit en quelque sorte du journal de ma maternité. L’objectif de ce livre est de contribuer si possible à changer la vision que la société a des handicapés physiques et d’apporter le témoignage d’une maman handicapée. Parce que durant les premiers mois de grossesse, j’ai cherché des informations sur la maternité en cas de handicap et réellement il y en avait très peu.
En ce qui concerne la vision que l’on a de nous, il semble qu’on laisse peu à peu tomber l’image du handicapé dépendant de ses parents, incapable d’avoir une relation adulte et indépendante, une vie professionnelle et une vie familiale propre.
Oui, tout est plus difficile à obtenir pour les personnes handicapées par rapport au reste de la population, mais ce n’est pas impossible. Aujourd’hui heureusement, il est normal qu’une personne handicapée fasse des études. Sa vie sociale s’est élargie, et certains d’entre nous osent même avoir des enfants. Il n’est pas question de prouver quoi que ce soit, c’est une décision trop importante pour qu’elle ne provienne pas d’un profond désir de devenir mère ou père.

As-tu toujours pensé que tu serais maman ?

Oui, chaque fois que j’imaginais mon futur, il y avait un enfant. Je ne concevais pas toute une vie sans enfant. C’était un désir très fort. Puis j’ai rencontré mon conjoint et lui aussi avait ce désir d’être père. Nous savions que cela se ne serait pas facile mais pas impossible.

Dans ton livre tu racontes comment une infirmière a suggéré que tu devais  » faire quelque chose  » avec ton bébé comme si le garder n’était pas pour elle une option. Est-ce que tu as dû surmonter d’autres obstacles comme celui-ci au moment de décider d’être mère ?

Ce commentaire de l’infirmière m’a fait très mal, il est arrivé à un moment sensible et beau et il a tout gâché.
Mais en vérité, j’ai rencontré moins de gens à qui cela faisait peur que le contraire. Si on me le demande aujourd’hui, oui, de temps en temps je me retrouve face a des regards désapprobateurs quand on me voit avec mon fils. J’essaie de leur donner l’importance qu’ils ont, c’est-à-dire aucune. Mais ce n’est pas toujours facile.
Quand deux ans auparavant j’avais fait part de mon désir d’être mère à un gynécologue, il m’avait répondu que ce serait possible avec une césarienne mais qu’avoir un enfant ce n’était pas seulement le mettre monde… Un autre m’a aimablement informé que pour ce faire il me faudrait d’abord avoir des relations sexuelles. Je ne sais pas pourquoi tant de gens associe la personne handicapée avec quelqu’un d’immature et infantile.


Une incapacité de 90 %, ça paraît beaucoup. Comment est-ce que cela t’affecte au jour le jour quand tu dois t’occuper de Miquel ?

Une incapacité de 90 %, ça paraît beaucoup et ça l’est. Mais l’avantage que j’ai, c’est d’être née avec mon handicap. Je peux donc dire qu’au fil des ans j’ai appris à faire les choses de la vie quotidienne d’une manière différente. M’occuper de mon fils n’a pas été une exception. Si pour changer de couches je dois le faire dans son petit lit plutôt que sur une table à manger, quelle importance si c’est plus facile comme ça ? À mesure que l’enfant grandit, tout se simplifie, mais durant les premiers mois (dont je parle dans ce livre), je devais déplacer mon bébé par-ci par-là dans son berceau à roulettes et ne pouvais le prendre dans mes bras que quand j’étais assise.


Entrons un peu dans votre intimité. Comment as-tu réussi à t’occuper de ton fils jusqu’à présent ? J’ai cru comprendre que Jordi, le papa, est souvent absent pour son travail.

Jordi travaille beaucoup mais quand il rentre à la maison, il se charge de donner le bain au petit, de le changer et de jouer avec lui. Le matin, je compte sur l’aide de mes parents. L’enfant grandissant, ils me laissent plus de marge pour m’en occuper seule. Mais c’est une grande aide. Les premiers mois, Miquel sortait avec mon père dans la poussette ou avec moi dans le porte-bébé. L’après-midi, je le couchais pour faire la sieste et après la tétée, je le mettais dans le porte-bébé pour aller faire une promenade.


De même que tu as dû t’adapter à Miquel ton fils, je suppose que Miquel a dû s’adapter à toi, n’est-ce pas ?

Tout à fait et ça paraît incroyable. Très vite je me suis rendue compte qu’il ne réclamait jamais mes bras s’il ne me voyait pas assise. Quand il a commencé à marcher et qu’il tombait, il restait normalement sans bouger jusqu’à ce qu’on vienne le relever ; mais si nous étions seuls, il venait jusqu’à moi à quatre pattes pour que je puisse mieux le prendre. Et pour l’allaitement… Ce n’est pas que ce soit très difficile pour moi de sortir le sein, mais cela fait des mois que je ne le fais plus, c’est lui qui le fait.


Certainement, ça paraît incroyable la manière dont ils apprennent à connaître nos forces et nos faiblesses. En parlant avec d’autres personnes de ton livre, beaucoup me faisaient la même réflexion : comment vois-tu votre relation dans le futur, quand Miquel grandira et sera plus conscient de ton handicap ?

C’est vrai que je suis préoccupée de ce qu’il se passera quand les autres enfants à l’école lui feront remarquer que sa maman est différente. Mais j’ai confiance, il saura faire avec, et il le sait déjà.


Revenons à ton livre. À quoi le lecteur peut-il s’attendre en ouvrant « Maternité adaptée » ?

Avant tout c’est un livre sincère, si sincère que je suis parfois surprise qu’il soit en vente… Le lecteur y trouvera le récit à la première personne d’une grossesse très désirée avec toutes les informations que j’ai pu récolter et que je considère utiles pour n’importe quelle grossesse. J’espère aussi qu’il trouvera une nouvelle vision du handicap, qui est présent tout le long du livre mais seulement en toile de fond, car le véritable sujet c’est la volonté d’être mère.

Traduit de l’espagnol par une sympatisante de l’association
Source : Bebés y más, http://www.bebesymas.com/ser-padres/algunos-discapacitados-nos-atrevemos-a-tener-hijos-entrevista-a-la-autora-de-maternidad-adaptada